Sous-sols crayeux et réseau karstique : le risque des bétoires pour l’eau potable
Le karst, un paysage remarquable et une ressource en eau renouvelable.
La vallée de la Seine est située sur les terrains sédimentaires du Bassin parisien. C’est un vaste plateau de craie recouvert d’une couche d’argiles à silex (qui provient de l’altération de la craie au cours du Cénozoïque) et de loess (roche sédimentaire meuble formée par l’accumulation de limons due à l’érosion éolienne).
L’eau circulant dans les roches alcalines les dissout progressivement. Les petites fissures s’agrandissent, forment des vides ou se remplissent de particules fines. Les mouvements de nappe et les phénomènes pluvieux intenses accélèrent ce processus de dégradation des roches. Cet ensemble de fissures et de boyaux forme le karst. Dans ces roches, la dissolution et l’écoulement souterrain créent des conduits qui vont de l’amont (les points d’infiltration d’eau dans la roche) vers l’aval (la source). Sans forme ni dimension bien définie, le karst crée des circulations d’eau qui communiquent parfois de façon inattendue.
La partie visible du karst est d’abord un paysage remarquable. Et c’est avant tout un aquifère, une formation dans laquelle l’eau souterraine s’accumule, circule et émerge à des sources souvent importantes. Il constitue souvent des réservoirs d’eaux souterraines qui constituent la ressource en eau renouvelable qui alimente nos robinet.
Le temps de recharges des compartiments de recharge varie de 1 à 4 mois après les périodes de pluies efficaces, en fonction de l’épaisseur et la capacité de stockage transitoire de la couverture de limons des plateaux.
Les départements de la Seine-Maritime et de l’Eure, reposant sur un plateau crayeux, sont susceptible de connaître des anomalies de surface liées au karst.
Les bétoires, ou dolines :
Les bétoires sont les conséquence de la dissolution de la craie par les eaux d’infiltration. En effet, l’eau de pluie traversant l’atmosphère se charge de gaz carbonique, devenant légèrement acide. Les fonds de vallée, où l’eau s’écoule et s’infiltre, sont les plus affectés par ce type de cavités. Les bétoires sont principalement localisées dans les zones de forte épaisseur d’argiles à silex
Les bétoires sont des dépressions de terrain où s’engouffrent les eaux de ruissellement sur un axe de talweg (vallée sèche). On trouve fréquemment des bétoires associées « en chapelet ». Les bétoires peuvent aussi être issues d’effondrement de boyaux karstiques devenus trop instables. Ce sont des remontées de fontis. Elles ne se distinguent pas à première vue de celles provoquées par l’effondrement progressif du plafond (« toit ») d’une marnière (qui peut s’effondrer soudainement).
Le karst est un système complexe, mais aussi un système fragile : Les bétoires sont les lieux des problèmes majeurs liés à la vulnérabilité des aquifères via le transport rapide des contaminants vers les captages d’alimentation en eau potable. Sans oublier les problèmes de stabilité des terrains.
En période de pluie importante et lors du déclenchement de ruissellement, les eaux s’engouffrent dans les bétoires et alimentent les réseaux karstiques ; à l’intérieur les eaux sont turbides du fait de ce ruissellement et de la remise en suspension de limons résiduels dans les conduits. Elles sont alors souvent contaminées bactériologiquement et leur minéralisation diminue.
La turbidité est un paramètre qui caractérise le « trouble » de l’eau. En Haute-Normandie, la turbidité a une influence non négligeable sur la santé publique (Beaudeau et al., 1999, 2010) montrent par des études statistiques que 10 % des cas annuels de troubles gastro-intestinaux sont susceptibles d’être liés à la consommation de l’eau du robinet.
Les bétoires peuvent être à l’origine de mouvements de terrain en surface “effondrement” par soutirage karstique (entraînement de matériaux en profondeur). C’est pourquoi, des périmètres d’inconstructibilité sont en vigueur dans les plans d’urbanisme, dans un rayon de 30m en Seine-maritime et 35m dans l’Eure autour des bétoires. Tout projet d’aménagement doit nécessairement tenir compte de ces phénomènes qui prennent place sur les plateaux comme dans les vallées.
Des risques de pollution de la nappe bien réels !
Les risques de pollution apparaissent à la construction des réseaux routiers puis à leur exploitation (salage en hiver, hydrocarbures, métaux lourds libérés par les véhicules, substances dangereuses échappées par accident…).
Heureusement, le sol constitue un puissant moyen d’épuration et de recyclage des eaux. Les argiles, les hydroxydes et la matière organique adsorbent les cations ( Ca, Mg, K, Na, métaux lourds) et certaines molécules organiques. Seules les molécules à moins de 6 carbones sont entraînées vers la nappe mais les cycles benzèniques sont retenus.
Sauf dans le cas de formation de bétoire, où l’eau peut rejoindre la nappe via le karst sans être filtrée, entraînant avec elle les matières en suspension et les polluants, dont les hydrocarbures. Ces polluants serait directement injectés dans le réseau karstique, risquant de contaminer tout ou partie des captages.
Le périmètre de protection autour des bétoires a empêché la construction de nombreuses habitations. Mais le tracé de l’autoroute A133-A134 a été conçu pour serpenter le plus possible à l’écart des zones habitables pour éviter de coûteuses expropriations. Le tracé recouvre logiquement un périmètre où l’on rencontre de nombreuses bétoires et indices de bétoires, autour desquelles il est interdit de construire.
Le tout directement sur les zones de protection des captages et des zones hydrogéologiques à préserver.
Le risque de contamination des nappes est donc bien réel.