Pourquoi le Contournement Est ne désengorgera pas Rouen : des propos incohérents entre responsables ministériels
Le 15 décembre 2021, Monsieur Le Premier Ministre Jean Castex a déclaré dans le quotidien régional Paris-Normandie :
« Ce projet, qui fut décrété prioritaire par la loi d’orientation des mobilités de 2019, désengorgera la métropole rouennaise, améliorera la qualité de vie de ses habitants qui passeront moins de temps dans les embouteillages et contribuera à accompagner le développement des véhicules électriques, notre meilleur allié pour réduire nos émissions de CO2 ».
Les véhicules électriques changent la donne ?
Déclaration du ministère des Transports :
Non, répond le ministère des Transports qui précise : « Le contournement est la condition qui permet de réorganiser les mobilités et de développer d’autres modalités autour de Rouen. La ligne ferroviaire nouvelle Paris Normandie sera complémentaire. Et sur le réseau routier existant on pourra envisager des voies réservées pour le transport collectif ou le covoiturage et cela on ne peut pas le faire sur un réseau congestionné. » (suite de l’article du quotidien Paris-Normandie)
Or, que dit le Commissariat Général au Développement Durable ?
Les véhicules électriques en perspective Analyse coûts-avantages et demande potentielle :
« Pour le tout électrique, le bilan est négatif pour un usager en début et en fin de période, les avantages environnementaux ne couvrent pas le besoin de financement public, les coûts de possession très élevés et les dépenses liées aux infrastructures de recharge. Le désavantage du tout électrique est moins marqué vis-à-vis du diesel urbain davantage émetteur de pollution locale. » (Études et documents n°41 mai 2011)
Or, le Commissariat Général à l’Investissement rappelle :
En page 18 : « Il est ainsi implicitement admis que le projet ne sera pas susceptible de modifier les destinations longue distance, ni la répartition modale air/fleuve/fer/route pour les voyageurs comme pour les marchandises. Il est possible, voire probable, que sur les relations concernées la concurrence modale soit faible et les parts de marchés de la route très élevées. » (Dossier d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique, Pièce K : Avis du CGI)
Or, l’INSEE confirme que les déplacements dans ce territoire sont relativement courts :
« La zone d´impact potentiel du projet de contournement est / liaison A28-A13 recouvre près d´un million d´habitants et 400 000 actifs. Au cœur de la Haute-Normandie, ce territoire se caractérise par une assez forte concentration des emplois, en particulier dans l´agglomération de Rouen, et par la présence de secteurs géographiques ayant au contraire une fonction essentiellement résidentielle.
Les 300 000 déplacements domicile-travail internes à ce territoire sont dans leur grande majorité relativement courts puisqu´ils s´effectuent essentiellement en milieu urbain. Près de la moitié des flux sont internes au SCoT Rouen-Elbeuf et plus d´un déplacement sur cinq est même circonscrit au cœur de l´agglomération (Rouen et secteur Rive Gauche). Le rôle central de la commune de Rouen dans le réseau routier se traduit clairement dans les mobilités : elle est impliquée dans le tiers des déplacements internes au territoire d´étude. »
Par ailleurs, le contournement routier à l’Est de Rouen, en bordure de l’agglomération incitera forcément les populations riveraines à l’utiliser au détriment des transports en commun pour leurs déplacements dans l’agglomération. Il permettrait de nouveaux trafics routiers induits, et s’opposerait alors clairement aux objectifs visant à réduire la place de la voiture.
Il est établi que le transport routier est responsable de 33 % des émissions de CO2 en France (CITEPA). Et les voitures particulières sont responsables d’un peu plus de la moitié des rejets attribués au secteur des transports routiers, soit environ 18 % du volume global de CO2 émis en France (CITEPA). Les émissions de CO2 des véhicules automobiles représentent donc à la fois un enjeu majeur et un coût social important.
De plus, le Commissariat Général à l’investissement donnait un avis très partagé et critique sur le choix unique d’une infrastructure routière. Il est avéré que celui-ci ne fut pas entendu lors de l’enquête publique de 2016 : « La maitrise d’ouvrage a fait le choix de réaliser une modélisation qui ne tienne pas compte de la possibilité de report modal. Ce choix méthodologique renforce la nécessité d’étayer l’analyse stratégique (recommandation déjà formulée précédemment) afin de montrer sans ambigüité la situation de non-concurrence entre les modes de transport ».
Nous sommes désormais en 2022, et les dissonances entre les services de l’Etat révèlent encore plus les incongruités des décisions politiques prises, alors que celles-ci devraient permettre une nécessaire transition écologique.
Dans le même reportage de notre quotidien, le président de la Région Normandie déclame « Cela fait plus de quarante ans que la Normandie attend le contournement Est. On ne peut sacrifier un tel investissement stratégique : c’est un chantier indispensable pour l’Est de la Seine-Maritime et pour l’Eure, mais plus largement toute la Normandie. Depuis des décennies, les Rouennais et Seinomarins attendent que cette situation s’améliore : il n’est plus possible que chaque jour des milliers de poids lourds encombrent les axes routiers. »
Monsieur Hervé Morin souligne avec force que le problème ce sont les poids lourds, mais il ne se met pas dans une position très critique pour rappeler les opportunités qui sont offertes avec l’ensemble des infrastructures ferroviaires normandes sous-employées dont Serqueux-Gisors, la route du Blé Orléans-Rouen et la pertinence de l’axe Seine en caboteurs fluvio-maritime pour compenser les parts de marché au bénéfice des ports de la Rochelle, de Dunkerque et bientôt de Rotterdam, Anvers. Ces derniers seront en effet bientôt en connexion directe avec l’Ile de France par le Canal Seine Nord Europe.
Au regard du Changement Climatique, qui s’impose aujourd’hui à l’humanité comme le plus formidable défi qu’elle ait jamais eu à surmonter, et contre lequel il ne nous reste que très peu de temps pour agir, le projet de liaison A28-A13 à l’est de Rouen ne revêt aucun caractère d’utilité publique, bien au contraire. Lorsque la bascule doit se réaliser impérativement pour permettre de rompre avec les scénarios catastrophiques annoncés, l’Etat, la Région tout comme le Département seinomarin préfèrent oblitérer, non seulement l’avenir des générations futures, mais aussi celles qui aujourd’hui voient disparaître les biens communs, et décliner leurs aménités. Le projet des infrastructures autoroutières A133-A134 à l’Est de Rouen ne présente pas un intérêt tel qu’il justifie les atteintes environnementales, le coût financier et les atteintes sociales qu’il va occasionner.