Histoire de contournements
L’histoire réinventée d’un projet qui daterait de 1972. Ses promoteurs le disent indispensable, utile, nécessaire… pourtant son utilité est sujette à caution.
La loi du 10 juillet 1970 crée 9 villes nouvelles, pour assurer un meilleur équilibre social, économique et humain dans des régions à forte concentration de population – en offrant des possibilités d’emploi et de logements, ainsi que des équipements publics et privés.
Le « Vaudreuil Ville Nouvelle » était censé loger 100 000 habitants en 2000, accueillir les activités venues de la région parisienne, et décongestionner l’agglomération rouennaise. “La ville à la campagne” : un nouveau mode de vie et de déplacements était imaginé.
Le Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme Rouen Elbeuf de 1969
Le SDAU (Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme) était d’une ambition effrénée, tant en matière d’urbanisme que de démographie :
L’agglomération d’Elbeuf tout entière – avant qu’elle ne soit incluse dans l’aire métropolitaine – n’atteignait que la moitié de ces objectifs démesurés en 2009.
Le Grand Rouen, qui à l’époque se concevait sur un périmètre de 20 km autour de la cathédrale, n’atteindra pas non plus ces objectifs de croissance – avec 829 000 habitants sur un territoire que l’on a étendu à 494 commune dans un rayon agrandi à 30 km.
De 1968 à 2016, la population des 71 communes formant la communauté de l’agglomération rouennaise n’a augmenté que de 10,6%. Et depuis 20 ans, la démographie est stable, augmentant de 0,1% par an.
Le Vaudreuil Ville Nouvelle, qui devait compter 100 000 habitants en 2000, compte 17 000 habitants en 2019, en additionnant les populations des deux communes du Vaudreuil et de Val-de-Reuil.
En 1972, les routiers étaient sympas sur RTL, le 1er choc pétrolier n’avait pas encore eu lieu, la France s’apprêtait à mettre en place un plan de déchirage de la moitié de ses péniches afin de rajeunir le parc de bateaux et de diminuer leur tonnage global, l’avenir de la France appartenait au modèle routier et au diesel…
En 1972, on se préoccupait peu des conséquences de la pollution sur la santé, encore moins sur la nature.
Le SDAU émettait l’hypothèse d’une croissance de la population de 230% en 40 ans. Elle n’a progressé que de 10,6% en 50 ans. La Ville-Monde que les planificateurs souhaitaient ne verra pas le jour. Mais les perspectives d’aménagement et d’urbanisme étaient bien basées sur ces prospectives. Contrairement à ce que continuent de planifier les collectivités, en affichant des perspectives de croissance de leur population irréalistes, l’INSEE nous ramène à la réalité : une croissance de la population en berne depuis des décennies (voir graphique et tableau ci-contre).
En 1972, l’A13 devait être doublée au nord de l’agglomération rouennaise par l’A15 (actuelle RN14), qui devait relier les ports de Paris, du Havre et de Rouen.
Le développement de la Basse Seine et de la normandie passe entièrement sur un axe Est-Ouest…
L’axe était clair : Est-Ouest, Paris-Rouen-Le Havre, avec une capitale normande qui rayonnait vers les principales villes normandes. Avec deux autoroutes : l’une, l’A15, censée relier les 3 ports d’HAROPA (Le Havre Rouen-Paris), ainsi que les villes nouvelles – Cergy, Pontoise et le Vaudreuil Ville-Nouvelle (et ses 100 000 habitants qui devaient venir), via un shunt A15-A13.
L’autre, l’A13, mettait en relation Paris et Rungis avec Rouen, Caen, et l’ouest de la France.
C’était, dès les années 60, la pré-configuration du Grand Paris.
La population étant censée plus que doubler, les urbanistes s’attendaient à étendre le territoire à urbaniser. 4 schémas étaient envisagés :
- L’évolution spontanée.
Le grossissement des unités agglomérées actuelles, l’agglomération s’étend sous une forme continue en occupant, au Nord les vallées (du Cailly et du Robec et une partie des plateaux; vers le Sud, elle s’étale sans discontinuité avec l’existant sur la presque totalité de la rive gauche. - Développement des plateaux Nord et d’Elbeuf.
Vocation résidentielle des plateaux Nord de Rouen, principal vecteur de développement urbain, et croissance importante du pôle secondaire d’Elbeuf. - Préférentiel rive gauche :
Favoriser les pôles urbains périphériques en préservant des coupures vertes de protection. Cela conduit à la limitation du développement des plateaux Nord et de la vallée du Cailly, des plateaux Est, en raison de leur vocation essentiellement agricole et des difficultés d’accès. Le développement préférentiel s’effectue sur la rive gauche en liaison avec les zones d’emplois. - Développement sur les plateaux Est :
Urbanisation discontinue, mais dans le cadre plus limité de l’agglomération. Elle s’organise selon un chapelet de noyaux urbains échelonnés sur la frange des plateaux Est.
Le choix du SDAU était alors le choix D : “Le développement, de forme linéaire, s’organise selon un chapelet de noyaux urbains échelonnés sur la frange des plateaux Est, et s’appuyant sur le centre actuel.”
La circulation devait se faire grâce à un réseau d’autoroutes urbaines qui mettaient le centre de Rouen, le port et la zone industrielle en liaison avec l’A13 vers l’Est et l’Ouest, et également avec l’A15 (actuelle RD6014). Les usagers de l’A15 devaient avoir le choix d’emprunter la rocade nord, afin d’éviter le centre-ville en direction du Havre ou d’un rabattement vers l’A13 à l’ouest ; ou bien d’emprunter la trémie sur les quais rive droite.
On note sur cette carte le potentiel à urbaniser : il fallait bien penser à loger la population – qui devait plus que doubler – et les entreprises, dans ce monde en pleine croissance industrielle.
Ce qu’il faut noter aussi, c’est l’élimination par les urbanistes des schémas A et B – évolution spontanée et plateaux nord et Elbeuf. cf page 25 de ce schéma directeur :
- Les trajets habitat – travail sont multipliés et allongés, et accentuent les difficultés du franchissement du fleuve. Il en résulte d’importants travaux d’infrastructure routière (linéaire très important de voies à établir dans le cas du schéma A). Dans le cas du schéma B., ouvrages de contournement et d’accès au centre rendus très coûteux par le relief et l’occupation des pentes ; dans les deux cas, ouvrages d’art de grande capacité sur la Seine).
- Le développement logique du centre dans les deux cas doit s’effectuer sur la rive droite, ce qui est incompatible avec les possibilités réelles.
- L’engorgement du centre ne peut être évité.
- Aucun transport en commun valable ne peut être mis en place du fait de la dispersion de l’habitat dans un cas, des difficultés dues au franchissement de la Seine et au relief dans l’autre.
- La desserte ferrée est inutilisable pour les déplacements au sein de l’agglomération.
- L’attaque du site se poursuit par grignotage des massifs forestiers.
- Enfin et surtout, les tendances néfastes constatées actuellement ne sont pas contrecarrées. La ségrégation sociale s’aggrave. Le développement anarchique de l’agglomération est perpétué, favorisant la création d’une banlieue disparate.
Le 1er choc pétrolier de 1973 et l’effritement de tout le modèle économique des 30 Glorieuses mettra fin à ces velléités de croissance infinie. L’A13, liaison Est-Ouest de Paris à Caen sera finalisée en 1977 (vous pouvez visiter ce rappel historique de caméra diagonale, avec une vidéo très intéressante).
L’A15 n’a jamais vu le jour, pas plus que la grande rocade, restée pourtant dans les esprits de nombreux décideurs politiques et économiques.
Toutefois, malgré tout le respect que nous témoignons envers nombre de techniciens de l’AURBSE, du CEREMA (ex-CETE), ou même de la DREAL (fusion de feues les directions régionales DIREN – environnement -, DRIRE – industrie, recherche, environnement – et surtout DRE – équipement), force est de constater qu’il y a réinterprétation de l’histoire.
L’exemple le plus concret reste l’interprétation du SDAU de 1972, où dès 1991 – puis chaque année ensuite – la rocade Est était, soi-disant, LA réponse idéale, cautionnée par les instituts consulaires puis les élus qui suivent leurs avis sur l’emploi, ou plutôt l’accessibilité à l’emploi (en voiture uniquement, à la campagne). Et puis cette réponse existait depuis le SDAU de 1972, ce qui ressort du débat public de 2005 et de la concertation présentée au public en 2014.
Pourtant que constate-t-on sur les cartes : ce contournement Est cité, avec le franchissement prévu à Saint-Etienne du Rouvray. De quoi s’agissait-il ? D’une rocade ? Non : d’un accès direct à ce qui devait devenir un aéroport international, la rocade reliant directement la rive gauche à Boos, presque en ligne droite, à l’entrée Ouest de l’aéroport, tandis que la rocade Nord prenait naissance à l’entrée Est de cet aéroport international (voir la carte d’occupation des sols du SDAU 1972 ci-dessus).
L’ironie de l’histoire c’est que la Région votait, le lundi 18 mars 2019, “un dispositif afin de développer la desserte du territoire en apportant son soutien financier aux investissements structurants réalisés sur les aéroports et ainsi répondre à la stratégie aéroportuaire régionale”. Il est prévu pour l’aéroport de Boos un allongement de l’exploitation de la piste.
Une semaine seulement après cette décision, Hop Air France annonçait le suspension de sa ligne Rouen-Lyon dès juin 2019 : la ligne qui était assurée depuis près de deux ans ne permet toujours pas à la compagnie Hop de rentrer dans ses frais, avec « un enjeu de déficit qui n’est plus soutenable. »
Cet aéroport international qui va fonctionner en continu toute l’année pour quelques vols estivaux vers la Corse est une gabegie pour les finances publiques, tout comme l’est cette rocade Est qui est censée le justifier en bonne partie.
1988-2005, l’A28, l’axe Calais-Bayonne
La réalisation de l’autoroute A28 nord (Rouen – Neufchâtel-en-Bray – Abbeville), dont la construction des tronçons s’est étalée entre 1988 et 1997, a permis une meilleure desserte des ports de Rouen et du Havre en provenance du nord et de la Picardie.
Cependant, il n’a pas été tenu compte des avertissements des urbanistes du SDAU concernant les plateaux nord, ce qui a conduit à un étalement urbain non maîtrisé, avec une croissance des déplacements largement supérieure à la croissance démographique – ce qui amène une congestion des pénétrantes au nord de Rouen -, la construction de ZAC qui n’ont fait que relocaliser des activités existantes – parfois de seulement quelques km -, et des conséquences environnementales qui n’ont pas été anticipées ni suivies – risques sur l’eau, les forêts, les trames vertes et le bruit.
L’A28, au sud, entre Bourg-Achard et Alençon, puis Le Mans et l’A11 ou l’A10 (Angers-Nantes, Poitiers-Bordeaux) a été inaugurée en 2005. En 1997, un cortège de 250 camions et autos menait une opération escargot, avec à leur tête MM Poniatovsky et Revet, réclamant “l’A28 maintenant”. Charles Revet, président du CG76 le décrivait comme “le dernier maillon manquant de l’axe nord-sud”.
Comme on le constate sur la figure ci-contre, le trafic poids-lourds continue largement de fréquenter la RD438 qui longe l’autoroute. Le prix du péage n’y est pas pour rien : 25€ pour les voitures de Bourg-Achard à Alençon, et jusqu’à plus de 80€ pour les poids-lourds, pour seulement 40 minutes économisées.
C’était donc effectivement le dernier tronçon de l’axe le plus court pour les flux de transit routier Calais-Bayonne, 1053 km, dont 1025 km d’autoroute. Le plus rapide aussi.
Cependant, le trafic n’est pas à la hauteur des objectifs initiaux avec seulement 7600 véhicules/jour dans les deux sens. On compte jusqu’à 2200 poids-lourds/jour sur l’A28, lorsque l’on compte jusqu’à 1200 poids-lourds sur la départementale 438 qui longe cette A28.
Même si le trafic attendu n’est pas au rendez-vous, pas d’inquiétude toutefois sur la profitabilité de l’infrastructure : avec un montant de 925 millions € financé à plus de 40% par l’État, les collectivités locales, quatre départements (Calvados, Eure, Orne, Seine-Maritime), avec un apport propre de seulement 78 millions €, mais également un emprunt de 460 millions €, tous les actionnaires ont été et seront largement bénéficiaires !
Selon Marianne, ce ne sont pas moins de 4,3 milliards € que les nouveaux actionnaires se mettront dans les poches d’ici la fin de la concession.
L’A28, un échec ? Pas pour tout le monde…
En 2005, un projet de contournement Est de Rouen fait l’objet d’un débat public
A l’issue du débat public sur le contournement de 2005, son président, Yves Mansillon, dressait le bilan de ce débat et en redéfinissait les objectifs, faisant remonter l’histoire de ce contournement au SDAU de 1972 (voir ci-dessus) :
- il s’agit d’un projet dont le principe, sinon les modalités, est acquis depuis longtemps puisqu’il a été inscrit dans de nombreux documents de planification locaux (SDAU de 1972, schéma directeur de 2001 et schéma de cohérence territoriale de 2004, mais aussi dossier de voirie d’agglomération de 1998 et plan de déplacements urbains de 2000) ou même nationaux (schémas multimodaux de services collectifs de transport de 2002, carte des infrastructures routières à long terme arrêtée par le CIADT du 18 Décembre 2003).
- en outre, le projet depuis plus de dix ans a fait l’objet, en alternance avec des phases d’étude, de plusieurs phases de concertation qui n’ont pas toujours vu s’exprimer des positions claires de tous les participants mais qui, finalement, ont permis de traiter de son opportunité, d’en arrêter le principe (décision ministérielle du 23 Septembre 2004) et de définir ses caractéristiques principales (arrêté préfectoral du 4 Novembre 1998 définissant le périmètre d’étude et prescrivant la mise en conformité des plans d’occupation des sols).
- l’importance des enjeux et des impacts du projet : enjeux économiques et sociaux du fait de ses liens avec la desserte des zones d’habitat ou d’activité, la maîtrise de l’urbanisation, la répartition des flux de circulation entre les divers modes de transport… ; impacts sur les milieux naturels, sur les ressources et sur les paysages (zones naturelles d’intérêt national ou européen, captages d’eau potable, traversée de plusieurs vallées et franchissement de la Seine).
- enfin les concertations menées antérieurement avaient été ouvertes aux élus des collectivités locales et aux représentants d’un certain nombre d’organismes socioprofessionnels ou d’associations, certaines réunions destinées au public avaient été organisées à l’initiative de collectivités ou d’associations ; cependant on ne peut pas considérer que la part faite à l’information et surtout à l’expression du public ait été proportionnée à l’importance des enjeux pour l’avenir de l’agglomération mais aussi très concrètement pour les conditions de vie quotidiennes de la population.
Pour faire court, le projet remonte au SDAU de 1972, la grande rocade”, pour accueillir le plus que doublement de la population, qu’on n’a jamais connu. Il a été modifié par les schémas nationaux ou territoriaux, a fait l’objet d’études et de phases de concertation qui n’ont pas fait consensus, notamment sur les enjeux économiques, sociaux et écologiques essentiels (eau potable, paysage, zones naturelles,…), desquels le public avait été écarté.
Puisque le CIADT du 18 Décembre 2003 était alors évoqué, lisons le passage consacré aux projets d’aménagements en Basse Seine (Caen, Rouen, Le Havre) :
Le réseau Normandie Métropole qui réunit Caen, Rouen, Le Havre, recherche les moyens permettant à ces trois villes et à leurs agglomérations de :
A ce titre, la reconquête des espaces d’interface ville-port, délaissés suite aux déplacements des activités portuaires vers l’aval, le plus souvent en friches, constitue un enjeu fort de développement.
Pour réaliser la reconversion de ces espaces, les trois villes conduisent, avec l’appui technique et financier de L’Établissement Public de la Basse-Seine, d’importants programmes de maîtrise foncière et de requalification urbaine.
“Maîtrise foncière et requalification urbaine” : une jolie tournure pour qualifier les 1000 hectares prévus pour la logistique, les ZAC et l’étalement urbain prévus dès 2003 pour cette “porte maritime du Grand Paris”. On désindustrialise, on relocalise, et on se reconvertit dans le tertiaire et les services.
Comme on le constate sur cette carte (ci-dessus) dessinée par les milieux économiques, et largement suivi par les élus territoriaux, nous assistons à une périurbanisation des activités, qui ne sont qu’une relocalisation d’activités dans une très, très grande majorité – contrairement à ce que peuvent laisser penser les élus et dirigeants économiques de la métropole.
Le contournement Ouest n’est pas oublié, reliant l’A150 et l’A151 à l’A28, passant par la forêt de Roumare (ce qui semble aujourd’hui totalement impossible pour la défense de l’environnement), la création d’une rocade Nord-ouest pour franchir la vallée du Cailly (lire page 9 du PADD de la commune de Maromme en 2014), reliant le parc de la Vatine à l’A150 et la RD6015, la RD43 reliant la Vatine à Coplanord sur la Plaine de la Ronce – une zone d’activité amenée à s’étendre encore, ce qui va accentuer la congestion automobile sur les pénétrantes de Rouen. Le contournement mettrait ensuite en liaison Coplanord à la ZAC prévue au Mont Jarret à Ymare, sur une surface prévue de 150 ha. Le projet a été abandonné après le transfert de Thalès de Lannion à Ymare. Le contournement Est devait ensuite relier le Mont Jarret à la technopole du Madrillet, puis au port de Rouen.
Nous sommes loin d’une stratégie d’évitement du trafic de transit par le centre bourg : il s’agit au contraire de promouvoir l’étalement des plateformes logistiques et commerciales vers les zones périurbaines, permettant en outre une revalorisation du très cher foncier en cœur d’agglomération. L’objectif est avant tout la maîtrise foncière et la requalification urbaine pour le monde économique, qui passe avant la requalification urbaine pour les habitants (ce que vous pouvez consulter dans notre dossier sur la périurbanisation et l’étalement urbain).
Comme on le voit sur la carte, le Mont Jarret devait être relié au Pharma Parc de Val-de-Reuil. Et plus loin, Évreux et ses milliers des navetteurs qui vont chaque jour au travail, à 75% de Rouen vers Évreux, et à la Cosmetic Valley, de Chartres jusqu’au Cosmetic Parc d’Orléans.
Les élus ne font que suivre les décisions des milieux économiques, comme on peut le constater, entre autres, dans ce PLU de Mont Saint Aignan (arrêté en décembre 2006, modifié en mai 2013). Qu’y apprend-t-on ?
- Tout d’abord que de 1990 à 1999, Mont-Saint-Aignan et Bois Guillaume les seules communes de la première couronne de la CREA à avoir connu une croissance de la population. + 6,5%. Ce qui fait mentir les prospectives des élus, des institutions, et même du ministère de la transition écologique et solidaire – qui ne prend que les données qui l’arrange, lui ou autres intéressés. C’est la manifestation de l’étalement urbain, au nord aujourd’hui, et peut-être à l’Est demain. Et l’abandon de la ceinture verte de Rouen.
La population stagne, voire baisse dans les centres urbains au sud. - Les élus ne font que suivre les milieux économiques, les CCI et les lobbies, les cartes prospectives, les PLU et autres PADD ne faisant que se superposer quasiment à l’identique sur ceux des milieux économiques. Qui décide ? Les citoyens ? L’argent ?
Ce déplacement de zones d’activités ne crée pas d’emplois, la situation du chômage en Normandie et en métropole en atteste. L’analyse de l’INSEE ne prévoit pas plus d’emplois en 2030 qu’en 2010 pour ce qui est de la Normandie : « À l’horizon 2030, autant d’actifs en Normandie qu’en 2010. […] Pour quatre nouvelles régions dont la Normandie, elle resterait stable ou diminuerait faiblement à cet horizon. Au terme de la période, la
population active normande stagnerait, avec 1 521 000 personnes en 2030, quasiment autant qu’en 2010 (1 519 000 personnes).»
Lorsque l’on a présenté ce projet aux habitants en 2005, ce n’est pourtant pas ce projet à but purement économique, logistique et foncier qui a été mis en avant. On leur a présenté un projet de rocade, à priori gratuit, reliant les zones avec les plus fortes croissances de population attendues. Forcément sur les plateaux Est, et épousant ce tracé, ainsi qu’on peut le constater sur cette carte (ci-contre à droite) issue du débat public. Comme par hasard.
Si les élus ont effectivement demandé, à l’instar de ce que les milieux économiques réclamaient – le barreau Eurois, ou la liaison entre le Mont Jarret et le Pharma Parc de Val-de-Reuil – celui-ci n’a pas été retenu en 2005, du fait de son coût faramineux, ce qui conduirait à opter pour le financement par un partenariat public privé et opter pour le péage. Or que nous apprend le débat public de 2005 :
Environ 40% du trafic de transit n’emprunterait pas un contournement payant.
« La mise à péage du contournement Est aurait pour effet direct de diminuer son attractivité et donc de réduire ses effets :- Environ 40 % du trafic de transit* qui aurait emprunté le contournement gratuit n’emprunterait pas un contournement payant ;
- Le rôle de déchargement du centre ville (et en particulier du pont Mathilde) du trafic poids lourds serait conservé ;
- Une diminution du trafic en traversée de Seine par rapport au scénario « contournement gratuit » se produirait.
Elle traduirait une limitation des déplacements des communes des plateaux est et nord à destination de la rive gauche.
La mise à péage du contournement Est ne serait pas à l’origine d’une plus grande saturation des axes au centre de l’agglomération ; elle limiterait cependant les déplacements et les échanges et réduirait donc l’accessibilité au centre. » (débat public 2005 p. 99)
Le maître d’ouvrage pointait les risques environnementaux pour les plateaux Est et l’Eure dès 2005 :
« Au nord de la Seine, l’élément important du territoire est l’existence de plusieurs vallées sèches, principalement orientées nord-sud, séparées par des boisements sur les coteaux et les plateaux. Certains de ces coteaux présentent un intérêt écologique incontestable, motivant leur inventaire en ZNIEFF* de type I.
L’urbanisation s’est développée de part et d’autre de ces reliefs, à l’est (commune de La Neuville-Chant-d’Oisel) et surtout à l’ouest autour de la future zone d’activité du Mont Jarret et des communes d’Ymare et de Quévreville-la-Poterie.
Au sud de la Seine, les principaux enjeux environnementaux concernent la forêt de Bord et les champs d’expansion des crues de la Seine.
Le prolongement vers le département de l’Eure et l’autoroute A13 nécessite l’analyse des enjeux environnementaux suivants :
Le 2 mars 2006, suite au débat public,
- Considérant que le constat de l’engorgement du centre-ville et de ses conséquences sur la qualité de vie des habitants est partagé et que la nécessité d’écarter le trafic de transit de l’agglomération rouennaise est reconnue ;
- Considérant la nécessité d’assurer une bonne desserte du port de Rouen afin de favoriser son développement ainsi que celui des activités logistiques associées ;
- Considérant que les phases de concertation menées depuis plus de dix ans en alternance avec les phases d’étude ont permis de définir les caractéristiques principales d’un tracé dont le périmètre d’étude a été fixé par arrêté préfectoral du 4 novembre 1998 ;
Enfin, Considérant la demande de prolonger le contournement par un barreau vers l’Eure, d’une part, afin de faciliter les échanges entre l’est et le sud-est de l’agglomération et ses autres secteurs, d’autre part, dans l’objectif de délester l’autoroute A 13 d’une partie du trafic de transit Nord-Sud entre A 28 et A 13, il est décidé que “les études d’avant-projet sommaire d’une liaison interurbaine à 2 x 2 voies entre le contournement de Rouen et l’autoroute A 13 à la hauteur d’Incarville seront réalisées concomitamment à celles du projet de contournement. Elles doivent permettre d’arrêter un périmètre d’étude, de déterminer un tracé et de soumettre ce projet aux enquêtes publiques correspondantes.”
C’est la protection de deux espèces endémiques qui aura raison du contournement
« Le cas le plus signalé est celui du coteau de St-Adrien, traversé en souterrain par le projet, mais précisément le contournement projeté ressortirait à flanc de coteau. Élément clé du grand écosystème des coteaux de la Vallée de la Seine car il abrite une faune et une flore remarquables (dont la violette de Rouen, espèce protégée), il est retenu comme ZNIEFF (zone naturelle d’intérêt écologique floristique et faunistique ) de catégorie I et site Natura 2000 ; le Conservatoire régional des sites naturels a acquis une partie du site avec l’aide de crédits européens. Certaines associations ont signalé que toute atteinte à ce site ferait l’objet d’un contentieux. »Le 3 octobre 2012, le préfet de Seine-Maritime, Pierre de Bousquet, se rendait à Bruxelles pour défendre le projet de Contournement Est de Rouen et “purger l’hypothèque environnementale !”. Ce fut un coup d’arrêt à ce projet pharaonique qui visait à assurer une bonne desserte du port de Rouen et favoriser son développement ainsi que celui des activités logistiques associées, et la périurbanisation des activités logistiques, commerciales et tertiaires.
Lundi 29 octobre 2012 : un camion transportant plus de 30 000 litres de carburant se couche sur le pont Mathilde et prend feu.
Même s’il n’aura fallu que 3 semaines pour changer les usages et rétablir la situation, l’idée du contournement Est que l’on pensait définitivement enterré resurgit.
En 2013, la CNDP décide de la présentation d’une concertation publique concernant une variante préférentielle établie par un comité de pilotage, rassemblant élus, services de l’État, milieux économiques… De toutes ces réunions du comité de pilotage, un seul compte-rendu sera officiellement publié.
La concertation sera présentée au public du 2 juin au 12 juillet 2014 au cours de 9 réunions publiques.
A nouveau tracé, nouveaux objectifs :
- Accueillir une part significative des déplacements internes à la communauté d’agglomération rouennaise, notamment entre les plateaux situés au Nord et à l’Est de Rouen et les autres secteurs de l’agglomération,
- Délester le centre-ville de Rouen d’une partie du trafic qui le traverse afin de contribuer à l’amélioration du cadre de vie et permettre le développement des transports collectifs et des modes doux,
- Favoriser les échanges entre l’agglomération rouennaise, le secteur de Louviers-Val-de-Reuil et la vallée de l’Andelle,
- Permettre au trafic de transit venant de l’A28 de rejoindre l’A13 à l’Est de Rouen.
On ne parle donc plus d’amélioration de la desserte du port, de logistique et de desserte des ZAC en zones périurbaines, le projet fait dorénavant la part belle à l’évitement du trafic de transit, tout du moins dans le discours officiel.
Dès la première réunion de concertation dans l’Eure, le ton était donné par la CCI :
- il s’agirait d’une “urgence économique”, un axe Calais-Bayonne – nonobstant le fait que les mêmes milieux économiques présentaient l’A28 comme le dernier maillon manquant de l’axe Nord-Sud – sans contraindre les trafics à passer par la Région parisienne ;
- organiser l’accès aux plateformes multimodales sur la Seine (déjà réalisée par l’A13), dont la plateforme d’Alizay-Pîtres-le Manoir, un projet aujourd’hui abandonné ;
- désaturer l’A13 (Est-Ouest) en orientant les poids-lourds en transit qui empruntent l’A13 pour des liaisons Nord-Sud – le chiffre de 4000 PL est annoncé, totalement fantaisiste, erroné ou bien argument publicitaire pour cet axe, attendu que s’il y a bien 8000 à 9000 PL en transit traversant l’aire métropolitaine, les comptages des services de l’État (CEREMA) montrent que 90% du trafic de transit se fait via l’A13 sur un axe Est-Ouest, les ports. A l’Est de Rouen, le CEREMA n’a compté officiellement que 592 véhicules en transit (poids-lourds + véhicules légers)…
- “on se doit” d’assurer une redondance des franchissements de la Seine… La coupure de l’A13 est un risque économique, l’A28-A13 apporte une sécurité par la redondance du franchissement au sud (Alizay-Le Manoir <> Léry-Val-de-Reuil).
Si le projet a peu mobilisé la population rouennaise, peu consciente qu’il s’agit d’une très chère autoroute, payée à 55% par les contribuables, à péage – dont ne connaîtra le prix que lorsque que le concessionnaire le donnera -, et dont les conséquences environnementales semblent éloignées…
Dans l’Eure, par contre, les élus ont été confrontés à la contestation unanime des habitants. Au départ interloqués par cette contestation unanime, mais aussi le ras-le-bol et la violence des Eurois, de tous âges et de toutes conditions, de droite ou de gauche, citoyens et écologistes, agriculteurs, travailleurs, indépendants, commerciaux, retraités, chômeurs, ces élus dont une bonne partie était au départ favorable au projet, a tout simplement dû prendre acte du refus de leurs administrés à l’encontre de cette autoroute.
L’enquête publique
Le mercredi 7 janvier 2015, Ségolène Royal et Alain Vidalies signaient la décision ministérielle de poursuivre le projet de liaison A28-A13 et d’engager l’enquête publique. Cette enquête publique s’est déroulée en 2016. Le préambule du rapport d’enquête publique commence par ces mots :
“Un projet qui tombe à un mauvais moment et qui accouche dans la douleur. Un projet qui date de loin, autant que les mémoires s’en souviennent au minimum de l’année 1972, soit plus de 44 ans, certains disant même qu’il remonte à encore plus loin… Un projet qui a connu de nombreux revirements et des contre-verses successives; après une acceptation quasi totale en 2005 pourquoi un rejet important en 2016 ? C’est ce qui a troublé dès le début de sa réflexion la commission d’enquête.
Les quelques éléments ci-dessous tentent de répondre à cette interrogation: Un climat économique incertain: alors que le projet voit le jour au moment des 30 glorieuses au climat économique euphorique, il voit par contre sa réalisation potentielle au sein des années 2015/2020, au climat économique plus qu’incertain tant au niveau français que mondial. On peut se rendre compte chaque jour que les objectifs de redressement annoncés ne sont pas au rendez-vous ( voir les chiffres du FMI et de l’INSEE), même à court terme, alors que dire de la situation dans une dizaine d’années… Les chiffres annoncés dans l’étude économique, tant au niveau de l’investissement initial que du fonctionnement, ne peuvent qu’être sujets à de nombreuses discussions et interprétations.
Un projet qui a connu des contraintes de plus en plus importantes avec le temps. “Il était une fois un jeune et beau projet qui bénéficiait de beaucoup d’avantages et qui en vieillissant se trouvait contrarié par beaucoup de contraintes”. On pourrait même le qualifier de” projet en entonnoir”, comme cela est illustré par le croquis ci-dessous.
Au début un petit projet ” un contournement au plus près de Rouen” pour en faciliter l’accès direct, puis un projet qui devient de plus en plus grand jusqu’à atteindre une longueur totale de 41,5 km et s’étendre sur deux départements! Au fil du temps, le projet s’est trouvé de plus en plus contraint par l’évolution de son contexte: – tout d’abord économique comme vu ci-dessus; – politique avec des modifications successives du panorama local, et des positions évolutives au fil du temps ; – des contraintes environnementales de plus en plus importantes en commençant par la fameuse “violette de Rouen”; – une évolution des mentalités et de la sensibilité du public, de plus en plus sensibilisé aux problèmes écologiques, soucieux de son cadre de vie et de sa santé. Comme le montre le schéma joint, l’entonnoir se resserre de plus en plus. Il est déjà très serré et très contraint en 2016.
Il ne fera que se resserrer au fil du temps, jusqu’au moment ou l’entonnoir sera totalement bouché et qu’aucun projet quel qu’il soit ne pourra plus passer.”
C’était donc le dernier moment pour faire passer cette autoroute à péage concédée au privé pour au moins 55 ans. Alors que les gilets jaunes ont envahi les rond-points pour exprimer leur colère face aux charges liées à leurs déplacements en automobile. Cette autoroute, si elle venait à être réalisée, ne sera que le début des concessions autoroutières sur l’axe aujourd’hui gratuit entre Rouen et Orléans.
Il est prévu aujourd’hui :
- A133-A134 : 41,5 km entre l’A28 au Nord de Rouen jusqu’à Incarville : coût estimé 886 millions € HT valeur 2015, début de chantier prévisionnel 2020 pour mise en service en 2024. 540 ha de terres naturelles, agricoles et forêts artificialisés (hors raccordements, ZAC, et zones pavillonnaires). Coût de péage inconnu.
- A154, d’Évreux à Orléans : coût estimé 750 millions € valeur 2012, début de chantier prévisionnel 2024 (après la mise en service de l’A133-A134) pour mise en service en 2027. 600 ha artificialisés. Coût de péage inconnu.
- 2027 ? liaison Incarville-Évreux, aujourd’hui en état impeccable. Lors de la concertation de 2014, la Dreal affirmait qu’il n’en n’était pas question, malgré l’inquiétude des requérants.
Aujourd’hui, il est permis de douter de cette parole étant donné les propositions de l’AFSA de reprise du réseau routier de routes nationales en 2×2 voies.
Que demandent les sociétés concessionnaires d’autoroutes ?
“L’État a choisi dès les années 50 de déléguer à des concessionnaires la responsabilité du financement, de la construction, de la maintenance et de l’exploitation de son réseau autoroutier dont l’intégralité des coûts a été et est toujours supportée par l’usager via le péage, sans recours au contribuable.
Ce modèle vertueux pourrait s’élargir à l’ensemble du réseau routier national, dans sa configuration resserrée aux seuls grands itinéraires qui est devenue la sienne suite aux décentralisations.
Le modèle des concessions est vertueux. Il a permis de développement d’un réseau de plus de 9 000 km d’autoroutes où le niveau de sécurité et la qualité de services sont unanimement reconnus.
Il semble pertinent aujourd’hui de s’appuyer sur ce modèle pour continuer à développer et moderniser les infrastructures routières indispensables à la mobilité durable et au développement économique de notre pays, tout en contribuant ainsi de façon positive à la relance économique. Cela peut- et même doit- se faire sans peser sur les finances publiques, comme le permet les vertus de ce modèle économique« made in France ».
[…] L’abandon programmé de I’Ecotaxe et le renoncement à la perception par l’État d’une recette pour l’usage de ce réseau est de nature à faciliter son transfert dans le réseau concédé qui n’avait pas vocation par nature à être soumis à cette redevance.
Les exemples de transfert déjà réalisés par le passé démontrent la faisabilité de telles opérations, dans des conditions qui ne lèsent ni les usagers, ni les agents, ni les contribuables.”
Cette autoroute à venir si l’on ne fait rien n’est :
- ni axe Calais-Bayonne – il existe déjà, c’est l’A28 qui joue ce rôle en Normandie – ;
- ni contournement de Paris – le choix d’un contournement de la région parisienne à 200 km a été fait et payé il y a 15 ans ;
- ni un contournement de Rouen – les rouennais ne s’imaginent pas un instant prendre une autoroute à péage pour relier l’A28 ou les plateaux Est au rond-point des vaches ! Mais ils espèrent que ce seront tous les autres usagers qui créent les bouchons matins et soir qui l’emprunteront.
Oui, mais les 1,2 millions d’usagers au quotidien qui se déplacent en interne dans l’agglomération, ce sont eux qui créent les bouchons. Lesquels choisiront de payer une autoroute et faire plus de kilomètres pour laisser les autres circuler plus vite, plus directement, et sans péage ?
Une réponse
Bonsoir,
Un Contournement Est concédé sera-t-il rentable ? Qui paiera le déficit d’exploitation probable ? Pas le concessionnaire car il est là pour faire son job ( cahier des charges) et … faire des bénéfices; c’est le maître d’ouvrage qui compensera un déficit évident (tous les calculs de rentabilité ont été faits sur la base d’hypothèses d’un modèle de croissance, hypothèses à revoir évidemment). Les négociations avec les concessionnaires candidats seront difficiles, longues et peut-être sans issue.
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